Interdit, le garçonnet essayait de saisir le concept qu'on tentait là de lui inculquer. Il avait vu son père la veille et même s'il ne le voyait pas souvent était-il vraiment possible qu'il ne revienne jamais ? Les parents n'étaient pas censés faire ça, il n'était pas supposé abandonné leur progéniture ainsi ... Interdit, il se laissa happer dans les bras de sa gouvernante alors qu'il passait doucement du choc à la douleur. Charles eu envie de s'extraire des bras de cette femme qu'il avait bien plus fréquenté que ses deux parents réunis et de protester, de lui dire qu'elle devait se tromper et que Brian Xavier franchirait à nouveau les portes de la demeure dans quelques semaine mais il n'eut pas véritablement l'occasion de le faire.
▬ " Pauvre enfant, ce n'était pas à moi de le lui annoncer. "
▬ " Et elle va me garder ? "
▬ " Mais où est-ce que j'ai bien pu le poser celui-là encore ? "Des murmures, des paroles, un flot de mots faisait doucement apparition dans les oreilles du garçonnet qui pourtant se savait seul avec sa gouvernante. Le regard clair de l'enfant passa alors de la douleur à la peur, entre les bras de la jeune femme il regarda autour de lui et ne trouva que cette pièce dont il connaissait les moindres recoins. Ils n'étaient que deux et pourtant ces voix étaient là, il les entendait distinctement mener leur discours sans queue ni tête. Effrayé, Charles sortit de bras de la gouvernante, se demandant si elle pouvait être la source de ce phénomène ... Comment savoir ?
Brusquement, le garçonnet décida de fuir, fuir loin de cette nouvelle et de ces voix qui l'empêchaient d'atteindre ses propres pensées. Il n'entendit pas la jeune femme protester et l'appeler alors qu'il prenait ses jambes à son cou et filer vers l’extérieur du manoir. Il en oublia presque le parquet glissant et les moquettes qui se tenaient en embuscade, il manqua de chuter plusieurs fois mais cela ne l'arrêta guère car il avait beau s'éloigner de cette pièce il entendait toujours ces voix qui ne le quittaient pas. Charles atteignit bientôt l'extérieur et s'élança dans le parc sans prêter attention aux gouttes d'eau qui s'écrasaient sur son visage. Il prit la direction du bosquet le plus proche et entreprit de s'y enfoncer, arrêtant de courir et plaquant ses mains sur ses oreilles après qu'il se soit enfoncé de quelques mètres sous les arbres. S'il avait l'impression que parfois certaines voix s'éloignaient elles étaient tout de suite remplacées par d'autres, un flot continuel de paroles résonnait et ses mains n'avaient absolument aucun effet ainsi plaquée sur ses oreilles.
Ce n'est qu'après avoir lutté de toutes ses forces contre ces voix que Charles déboucha de la forêt où il s'était égaré bien des heures plus tôt. Exténué, cédant au fait qu'il ne pouvait rien faire pour retrouver un peu de silence il apparut dans l'obscurité du parc où il fut presque immédiatement repéré par le personnel qui le cherchait depuis qu'il avait disparu. Alors qu'on le portait à l'intérieur du Manoir le garçonnet s'endormit n'ayant guère plus assez de force pour garder les yeux ouverts.
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Charles gravissait les marches d'un pas serein, un sourire amusé aux lèvres. Il savait exactement où aller alors il n'avait qu'à feindre de s'égarer un peu pour que la demoiselle puisse triompher quelques instants avant de subir l'inévitable déconvenue. C'est donc pour cela que Charles flâna un peu dans le couloir profitant du soleil printanier qui venait doucement réchauffer l’atmosphère derrière les fenêtres. Les mains dans le dos, le jeune homme jubilait d'avance de sa victoire et n'avait pas une once de remord quant aux moyens dont il avait usé pour l’acquérir. Il attendit de sentir un peu d'interrogation dans son esprit, que la demoiselle s'interroge sur le temps qu'il prenait à la retrouver avant d'entrer dans la pièce autour de laquelle il tournait.
Armé d'un sourire, Charles entra triomphalement avant de s'arrêter lorsqu'il tomba nez-à-nez avec la mauvaise personne. Le jeune homme s'étonna quelques instants de voir ici la bonne mais il surmonta vite la surprise pour retrouver un sourire un peu lasse.
▬ " Raven tu triches. " La jeune femme l'observa avec un regard qui sous-entendait clairement qu'à ce petit jeu elle n'était pas la seule et bientôt l’éclat bleu de ses écailles balaya doucement son corps qui perdit un peu de taille et de corpulence pour retrouver les traits de la fillette blonde.
▬ " Tu ne l'aurais pas su si tu ne le faisais pas toi aussi. " Cette réflexion un peu vexée fit sourire Charles qui glissa les mains dans ses poches en faisant quelques pas vers la miss.
▬ " Et alors je n'aurais pas pu gagner, ce jeu n'aurait pas été intéressant. "Raven soupira mais elle finit par le suivre alors qu'il atteignait la fenêtre pour jeter un coup d’œil dehors. Il est vrai que Charles ne ratait que très rarement une occasion d'exploiter le capharnaüm qui régnait dans son crâne, s'il devait endurer cela au moins que cela lui serve à quelques choses. Il commençait à réussir à tirer les informations qu'il souhaitait, chaque jour il pouvait découvrir une nouvelle partie de cette étrange compétence qui régissait sa vie depuis plusieurs années.
Le regard clair du jeune homme glissa vers Raven qui regardait dehors et semblait encore hésité à bouder ou non en réaction à la tricherie dont Charles avait usé pour remporter leur partie de cache-cache. Il décida de ne pas lui laisser le temps de se décider et avec un sourire glissa sa main dans la sienne.
▬ " Aller viens, je crois que le gâteau est prêt. "Il venait en effet de saisir cette information cruciale alors que la véritable bonne sortait cette préparation du four situé dans la cuisine, quelques étages plus bas. Charles entraîna donc la fillette à sa suite, sachant parfaitement qu'après un goûter Raven aurait oublié cette histoire.
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Charles l'avouait volontiers, l’atmosphère qui régnait actuellement au Manoir lui convenait au plus au point. Ces gigantesques murs et ces multiples couloirs avaient enfin une utilité et raisonnaient de vie après toutes ces années où seuls ses pas ou ceux de Raven avait animé la bâtisse. Le travail qu'il faisait là, les progrès qu'il voyait chez ses nouveaux amis, cette ambiance l'enthousiasmait véritablement et la certitude de faire ce pourquoi il était fait c'était posé sur son esprit.
Tout restait à faire, tous ces esprits perdus qu'il avait pu toucher, il devait leur dire, les prévenir qu'il existait bien un lieu où ils pourraient être en sécurité et où ils pourraient embrasser leur véritable nature. Les nouveaux habitants du Manoir étaient les premiers d'une grande succession, Charles s'appliquerait à cela même si pour l'instant leur véritable mission allait apparaître, arrêter Shaw serait indispensable pour pouvoir construire sereinement les bases du futur Institut.
Avec un fin sourire Charles finit par se détacher de l'observation du parc plongé dans l'obscurité. Avec un fin sourire il se dirigea doucement vers le canapé. Il laissa son esprit aller à la rencontre de celui d'Henry qu'il devina encore en train d'élaborer de nouvelles inventions, il toucha ensuite ceux de Sean et Alex qui semblaient s'être lancés dans une bataille acharné au baby-foot car apparemment le billard avait mit à mal leur patience. Le télépathe n'eut aucun mal ensuite à effleurer les rêves de Raven et l'esprit tourmenté d'Erik qui cherchait le sommeil, il se permit de l'aider dans cette tâche avant d'enfin s'asseoir sur le canapé vers lequel il se dirigeait alors que son sourire se faisait amusé en sentant que la dernière occupante des lieux était en train de le rejoindre pour de nouveau lui poser quelques questions. Moïra semblait vouloir faire comme si Charles ne pouvait avoir conscience de ses véritables motivations et à chacune de leur entrevue elle s'entêtait sur cette voie. Cette obstination amusait le télépathe qui n'hésitait guère à l'amener vers le chemin qu'elle ne voulait pas voir et qui pourtant était bien intéressant. Comme il pouvait s'y attendre, quelques coups résonnèrent bientôt à sa porte et Charles invita aussitôt la jeune femme à entrer.
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Cela n'était pas si longtemps le temps de l'espoir et de l'enthousiasme. Pas si longtemps mais pourtant ... Charles était assit à son bureau et ne savait plus vraiment depuis quand il était là. Son regard lasse c'était posé sur la porte mal fermé d'un placard qui laissait entrevoir ce fauteuil qu'il avait rejeté avec force, refusant de renoncer à ses jambes. Mais ce jour là il n'avait pas fait que refuser cet handicape, certes le télépathe avait complétement déboussolé par l'absolu silence qui avait résonné à ses oreilles lorsque le traitement avait commencé à faire effet mais il s'était très rapidement fait à cette solitude.
C'est en retrouvant sa liberté que Charles comprit ce gigantesque poids qui avait pesé sur ses épaules durant toutes ces années et il était bien incapable de comprendre comment il avait bien pu supporter toutes les peines du monde ainsi depuis son enfance. Maintenant il était comme tout le monde, il ne savait que quelqu'un approchait que s'il entendait ses pas, il ne savait que ce qu'on voulait bien lui dire et si quelqu'un refusait de faire ce qu'il désirait il ne pouvait que l'accepter. Déroutant mais ce changement ne le dérangeait pas au vu de la contrepartie qu'il gagnait.
Son esprit était aussi vide que son entourage, ils étaient tous partis, seul Henry était encore à ses côtés, s'entêtant à vouloir faire tourner cet Institut qui n'avait plus aucun sens aux yeux de Charles. Mais l'ancien télépathe le laissait faire, il le laissait entretenir ce projet qui n'était plus le sien, l'aidant parfois en acceptant de donner quelques cours ou en gardant un œil sur quelques élèves. Lui-même ne faisait qu’errer dans les couloirs, parcourant le chemin entre sa chambre et la cuisine pour parfois se perdre dans ce qui était son bureau et qui à présent ne ressemblait guère plus à cela. Dans un soupire Charles se remit sur ses pieds et fit doucement le tour du bureau surchargé. Peut-être que demain il essayerait de mettre un peu d'ordre dans tous ces documents, cela ne pourrait pas faire de mal mais aujourd'hui il n'en avait guère la motivation.
Charles venait d'achever le tour de son bureau lorsque l'avertissement qu'il n'avait pas senti arrivée le terrassa. Le souffle coupé par la douleur, il n'eut que le réflexe de porter une main à son dos alors que ses jambes cédaient sous son poids. Il heurta lourdement le sol sa tête trouvant appuie sur le fauteuil tout proche. Le réveil de cette douleur physique appela aussitôt sa jumelle psychique et la combinaison des deux assomma presque le jeune homme qui resta immobile un bref instant avant qu'il ne se sente la force d'appeler le seul capable de faire taire ses souffrances.